Pour en savoir plus sur le sexe sans étoile

Le sexe sans étoile car vite fait mal fait,
comment le dépasser ?

Agnès Jacquerye, Phd.

Sexologue clinicienne

1 – « Le sexe, cela s’apprend naturellement »

Le sexe, ce n’est pas comme la voiture. Pas besoin d’apprendre à conduire, ça vient tout seul ! Deux petits coups de reins, un petit orgasme et vous voilà champions du monde !
Vous ne me croyez pas ? Vous avez bien raison ! Et pourtant, nous sommes depuis longtemps bercés par le mythe d’une sexualité qui s’apprendrait « naturellement ». C’est un peu vrai si on se limite à l’instinct de copulation et de reproduction. Cela viendra bien tout seul. Et de toute manière le Prince charmant est là, alors pourquoi se poser des questions ?

Mais qu’en est-il du désir, du plaisir, de la volupté, des zones érogènes, de l’érotisme, de l’orgasme, de la connexion amoureuse… ? La société dans laquelle nous vivons s’abstient cependant encore et toujours de s’engager pleinement dans une éducation sexuelle fiable et dynamisante. Pas besoin, estime-t-on d’en comprendre les mécanismes.

2 – Aujourd’hui, comment apprendre à faire l’amour ?

Résultat, aujourd’hui, hormis celles et ceux que le sexe n’intéresse pas, chacun fait avec les moyens du bord pour apprendre à faire l’amour. Chacun se fie à son propre feeling, à ce que montre la pornographie, à ce que chacun glane sur les réseaux sociaux, sans oublier les conseils contradictoires des copains et copines « qui nous veulent du bien ».
Et l’éducation sexuelle à l’école ? Il ne faut pas trop compter dessus, vu que l’obligation d’assurer un tel cours n’est pas respectée par 80% des écoles en Belgique. Là où elle l’est, cette éducation se limite à deux fois deux heures sur l’ensemble de la scolarité, soit quatre heures d’information pour les 20% les plus chanceux !
Pour rappel, il faut 20 heures de cours obligatoires au minimum pour passer son permis de conduire théorique.

3 – Comment la sexualité est-elle vécue ?

Avec quelles conséquences sur la satisfaction sexuelle des hommes et des femmes ? Pas terrible. Plusieurs études scientifiques phares ont été menées ces 10 dernières années sur ce thème. Retenons les principales.
Une des plus récentes est celle de l’IFOP en 2021. Elle met en évidence que 28% des femmes en Europe sont insatisfaites de leur vie sexuelle. Quasi une femme sur trois. Une des raisons évoquées, le partenaire n’est pas assez attentif à leur plaisir. Ce manque d’intérêt à rechercher le plaisir de l’autre est déjà mentionné tant chez les femmes que chez les hommes, dans une étude britannique plus ancienne. Dans cette même étude britannique, 50% de femmes et 40% des hommes rapportent avoir connu au moins un problème dans leur vie sexuelle, durant l’année écoulée. Les problèmes les plus souvent mentionnés sont le manque d’intérêt pour le sexe ou le manque de désir ; chez les femmes, des douleurs physiques lors des rapports, des difficultés à atteindre l’orgasme durant la pénétration et chez les hommes, des difficultés à avoir ou maintenir une érection. Tableau que connaissent bien les sexologues.
Tout récemment encore, en 2022, dans la revue prestigieuse du British Medical Journal, les problèmes causés par le sexe anal chez la femme sont un phénomène nouveau et grandissant dans la population jeune hétérosexuelle. Ces femmes sont victimes, entre autres, d’incontinence fécale ou de lésion du sphincter anal.

4 – Que disent les acteurs professionnels du sexe sur le terrain ?

Les professionnels du sexe, escorts ou acteurs porno, nous font part des raisons pour lesquelles les clients font appel à leur service. Les raisons principales : pour les femmes, nombreuses sont celles qui font l’étoile de mer. Trop de femmes n’osent pas lâcher prise. Rares sont celles qui connaissent bien leur corps, peu aiment et savent faire une bonne fellation. Quant aux hommes, peu comprennent le fonctionnement intime de leurs partenaires féminines.
Comme écrit un certain Vincent, Escort qui a connu 1400 femmes sexuellement : « Que vous soyez débutant ou confirmé, mon constat est que les hommes comme les femmes pensent être techniquement à 100% de leur potentiel pour donner du plaisir. Mais en réalité, ces personnes ne sont qu’à du 50% ou 60% de leur potentiel et tous l’ignorent. »

5 – L’ignorance en sexualité

Comme le dit Philippe Brenot, un sexologue renommé, nous vivons une époque paradoxale : « Le sexe est partout présent mais très peu expliqué et mal compris. » Pas étonnant que de nombreux sexologues constatent beaucoup d’ignorance à ce sujet dans leurs consultations.
En effet, si la sexualité, cela s’apprend « naturellement », si encore au XXIème siècle, l’école ne peut que donner des miettes d’information sur la sexualité, s’il faut faire preuve de débrouillardise pour apprendre à faire l’amour, rien d’étonnant à ce que la sexualité soit une souffrance pour un bon nombre de personnes, un fardeau plutôt qu’un cadeau.
Et c’est bien dommage, car une sexualité bien vécue nous rend heureux tant au niveau physique qu’émotionnel. Être heureux renforce le système immunitaire et favorise un meilleur équilibre hormonal. Plus encore, vécue de façon épanouissante, la sexualité renforce les émotions positives et affectives et peut même donner un sens à la vie.
Alors, pourquoi encore tant d’ignorance à l’ère de l’information ? Nous sommes pourtant en droit d’attendre de plus fréquents feux d’artifices ! Pourquoi la fonction sexuelle et son épanouissement n’est pas considérée comme un enjeu de santé publique ? Et son éducation remboursée par la sécurité sociale ?
L’ignorance mène à l’absence de plaisir. C’est déjà ce que rapportait Nancy Tuana en 2004 : plus une femme est ignorante, moins elle aura de plaisir. Plus elle en apprend sur sa sexualité, plus elle connaitra la jouissance !
Cette auteure ajoute que l’ignorance en sexualité n’est pas un simple manque innocent de connaissance, elle est en lien avec le pouvoir. Cette ignorance est souvent construite, entretenue et diffusée pour des raisons politiques, des croyances qu’elles soient culturelles, religieuses et même féministes. Elle conclut en rapportant ce vieil adage que nous connaissons tous : « Le vrai pouvoir, c’est la connaissance. »
Plus récemment, Odile Buisson concluait sa conférence sur l’organe clitoridien et l’orgasme féminin en rapportant les propos du philosophe Michel Foucault : « En matière de reproduction, il y a une immense volonté de savoir ; en matière de médecine sexuelle, il y a une volonté obstinée de non-savoir. »
Cette ignorance, nous la payons bien cher.
Dénommée « analphabétisme sexuel » par Dr Ruth K Weistheimer, célèbre sexologue américaine, l’ignorance qui sévit en matière de sexualité est à l’origine du marasme sexuel dans lequel bon nombre de gens continuent à vivre.
Cette ignorance explique pourquoi tant d’hommes et de femmes se contentent encore d’une vie sexuelle aussi ennuyeuse et standardisée qu’un repas quotidien au fast-food ou un mot du sexe sans étoile. Cela explique aussi pourquoi certains refusent de la vivre, et c’est compréhensible dans ce contexte limité et non ressourçant.
Ces hommes et ces femmes oublient cependant que le sexe peut aussi les emmener dans les étoiles. Le problème, ils ne savent pas le chemin pour y arriver. Et pourtant, cela leur permettrait d’accéder à une bien plus grande satisfaction dans les relations amoureuses et sexuelles.

6 – Quelles solutions ?

Certes, l’information est là, mais ce n’est pas la bonne, ou il y en a trop, ou elle est trompeuse, ou il manque l’essentiel et on ne sait qu’en faire. Par ailleurs, nous sommes aussi dépassés par les nouvelles lois de l’amour au temps du numérique, par les modèles tout-puissants de la pornographie, des sex-toys, d’une vague naissante d’un nouvel érotisme avec les mangas et de la nouvelle forme de drague amenée par les sites de rencontres, les sextapes, les sextos, les sextechs, etc.
Certes, certains se mobilisent pour mieux faire connaître la sexualité. Il y a de très bons livres de référence. Il y a de plus en plus de formations de bonne qualité, beaucoup payantes, de plus en plus de conférences gratuites de sexologues très compétents sur youtube.
C’est cependant encore loin d’être suffisant.

7 – Quel est mon rêve en tant que sexologue ?

Comme bien d’autres démarches de développement du bien-être sexuel, soucieuse de partager le savoir, le savoir-faire, le savoir-être et le savoir-communiquer, je m’engage à contribuer à ce mouvement de lutte contre l’ignorance et le mal-être en sexualité.
Je table sur le fait que transmettre les clés des connaissances humaines et techniques en sexualité est la condition permettant de devenir le véritable acteur de sa sexualité.
Ce n’est qu’après, qu’une vie sexuelle positive, nourrissante et épanouissante commence.
Mon défi est de constituer un trésor d’informations actuelles, les meilleures et les plus pertinentes possibles, afin qu’elles soient à la portée de toutes et tous et de les diffuser au mieux sur les réseaux pour que chacun vive une sexualité pleine d’étoiles.
Mon rêve, en tant que sexologue, est que les passagers de l’amour soient le mieux équipés pour vivre le voyage du plaisir et du bien-être qui leur convient et les attend.

8 – Sources

Livres
Brenot, P. (2011) Les hommes, le sexe et l’amour. Enquête sur l’intimité, la sexualité et les comportements amoureux des hommes en France. Les Arènes, Paris.
Brenot, P. (2012) Les femmes, le sexe et l’amour. 3000 Femmes témoignent. Les Arènes, Paris.
Brenot, P. (2014) Un jour mon prince…. Rencontrer l’amour et le faire durer. Poche marabout. Vances.
Britton, P. (2005) The Art of Sex Coaching – Principles and Practices, WW. Norton & Company, New York.
Brune, E. (2008) Alors heureuse … croient-ils ! Editions du Rocher, Monaco.
Du Val, G. (s.d.) En attendant le prince charmant. LES ROMANS BLEUS. Editions Jules Taillander ; Paris
Komisaruk, B.R, Beyers-Flores, C. and Whipple, B.(2006) The science of orgasm, John Hopkins University Press, Baltimore.
Lahaie, B. (2011), Réponses aux 100 questions les plus posées sur l’Amour. France-Empire Monde, Chaintreaux
Leleu, G. (2007) Le traité des orgasmes, Leduc, Paris, 2007
Madame Lisa (2012), portes ouvertes sur maison close. Grasset, Mayenne.
Psalti, I. (2019) La sexualité positive. L’épanouissement affectif et sexuel à la portée de tous ! Paris : La Musardine
Renevay, C. En attendant le prince charmant, l’éducation des jeunes filles a Genève, 1740-1970. La Criée
Spiegelhalter, D. (2015), Sex by numbers. What statistics can tell us about sexual behavior. Wellcome collection. London.
Tran, C. (2018) Ne dis pas que tu aimes çà. Fayard, Paris.
Vincent Body Expert. (2019) L’art de baiser. Livre électronique. Imprimerie COREP
Articles
Tuana, Nancy. “Coming to Understand: Orgasm and the Epistemology of Ignorance.” Hypatia 19, no. 1 (2004): 194–232.
http://www.jstor.org/stable/3810938
Levin, R-J. The female orgasm-A current appraisal. Journal of Psychosomatic Research, 1981, vol 25, no 2, pp 119-133
Chapitre dans livre
Desjardins, J-Y, Chatton, D., Desjardins, L., Tremblay,M. (2011) Chapitre 2. Le sexocorporel. La compétence érotique à la portée de tous. In La sexothérapie, sous la direction de Mansour El Feki, De Boeck, Bruxelles, p 63 – 102
Références sur internet
Kraus, F. Panorama de la sexualité des Européennes à l’heure di Covid-19. Enquête Ifop 2021
https://www.ifop.com/publication/observatoire-europeen-de-la-sexualite-feminine/
Torian,J. et Mace,L. Les secrets de la femme multiorgasmique. 2017
https://www.youtube.com/watch?v=BGFe1OP5xjs
Van Ossel, D. Education à la vie Relationnelle, Affective, et Sexuelle : obligatoire depuis 10 ans, elle est dispensée à seulement 20% des élèves. 2022
https://www.rtbf.be/article/education-a-la-vie-relationnelle-affective-et-sexuelle-obligatoire-depuis-10-ans-elle-est-dispensee-a-seulement-20-des-eleves-10970149